Magies de l’aquagravure
L’aquagravure reproduit les gestes traditionnels de la fabrication ancienne du « papier à la cuve ». Tout commence par l’ouvrage de la pâte, une solution d’eau et de fibres délayée à la main. La seconde opération est celle du puisage au tamis d’une couche de fibres, épaisse et généreuse, et la troisième étape est le couchage : la couche de fibres est renversée sur des feutres qui permettent de la déplacer et de l’installer sous la presse, au contact du moule souple qui va « graver » en elle les formes...[Lire la suite]
Magies de l’aquagravure
L’aquagravure reproduit les gestes traditionnels de la fabrication ancienne du « papier à la cuve ». Tout commence par l’ouvrage de la pâte, une solution d’eau et de fibres délayée à la main. La seconde opération est celle du puisage au tamis d’une couche de fibres, épaisse et généreuse, et la troisième étape est le couchage : la couche de fibres est renversée sur des feutres qui permettent de la déplacer et de l’installer sous la presse, au contact du moule souple qui va « graver » en elle les formes de l’œuvre. Arrive alors la phase doublement cruciale du pressage.
Ecrasée par la presse, la couche de fibres encore gorgée d’eau va perdre, d’un coup, les neuf-dixièmes de son épaisseur, et se transformer en feuille, solide et résistante, par la formation, en quelques secondes, au cœur de sa structure, de milliards de ponts hydrogène : les liens chimiques qui vont rendre solidaires ses fibrilles de cellulose. Mais c’est également à ce moment précis que la feuille, en pleine fibrillation, se trouve formée par le moule qui imprime en elle ses reliefs et ses dépressions.
Voilà le miracle : du papier, à l’état naissant, se saisit de la profondeur des signes pour reproduire, dans sa propre matière en formation, la surface de la pierre gravée, au moindre détail près. Après le pressage, la feuille est définitivement constituée, mais des semaines de séchage seront encore nécessaires pour que la feuille, parfaitement formée, puisse devenir pour l’artiste l’espace d’une nouvelle intervention : l’interprétation chromatique.
L’aquagravure à l’épreuve de la couleur
Quatrième et dernier moment du processus : le prodige du papier gravé aux prises avec l’inondation d’un flux de couleurs pures, la diffusion profonde des pigments dans les fibres de la cellulose, leur propagation au gré des sillons, des accidents et des creux qu’ont formés les figures et les symboles, le caprice maîtrisé des chromatismes aux prises avec la densité de la feuille et la texture de ses motifs.
A côté d’une série numérotée (20) d’aquagravures blanches, des tirages spéciaux sont consacrés à la réalisation d’aquagravures colorées qui constituent des œuvres originales à part entière, puisque les feuilles gravées, traitées comme de simples supports, font, à ce stade, l’objet d’un véritable travail de peinture, réalisé à la main par l’artiste avec des matières et des techniques très différenciées, à l’aide de brosses larges et très souples, ou de grands pinceaux calligraphiques chinois.
Pour les aquagravures en couleur présentées dans l’exposition « Métamorphoses du signe », l’artiste a choisi de multiplier les expériences de chromatismes pratiquées avec des substances naturelles, et notamment végétales, utilisées depuis des millénaires en Orient pour colorer les textiles et les papiers : curcuma, safran, piments rouges, décoctions de tabac, de café, garance, cochenille, etc. Dans d’autres cas, il a utilisé des pigments minéraux, des poussières ocre-pâle du désert, des encres de Chine, des lavis acryliques.
L’œuvre comme processus
Au terme de toutes ces transfigurations, ce qui se retrouve comme fixé en chacune des aquagravures, c’est le mouvement même de sa genèse, une genèse qui raconte l’histoire de l’œuvre, mais aussi, derrière elle, une autre histoire dont elle n’est que le signe et qui la dépasse.
Car ce qui se trouve inscrit dans ces aquagravures, c’est à la fois la succession des métamorphoses matérielles qui leur ont donné naissance mais également, en amont, la mémoire d’un rêve qui a guidé les gestes de l’artiste : ajouter au désir instinctif de tracer des signes, à cette obsession humaine d’en-signer le réel, ce surplus de sens et de plaisir qu’est la beauté plastique.
Tel pourrait être un des défis de l’art : transmettre un message dont le temps finira peut-être par rendre le sens indéchiffrable au regard de la langue et de la raison, mais avec l’espoir que, pour le cœur et les yeux de ceux que l’œuvre fera rêver, l’expressivité purement plastique de ses tracés saura rester intacte, ou qu’elle aura même gagné en intensité, sous l’effet envoûtant de son énigmatique illisibilité.