La série intitulée « Empreintes » est née, en 2000, d’un projet d’exposition « Vestiges d’Eden » lié à l’évocation d’un personnage peut-être mythique mais, pour moi, central : la princesse Q. D’origine peule, cette princesse aurait régné, au début du IVe millénaire, sur un immense empire allant du Soudan à l’Iran et de la Syrie à l’Ouzbékistan : une culture métissée, antérieure à Sumer, dont quelques monolithes gravés, retrouvés à la frontière occidentale de l’Irak, semblent indiquer qu’elle... [Lire la suite]

La série intitulée « Empreintes » est née, en 2000, d’un projet d’exposition « Vestiges d’Eden » lié à l’évocation d’un personnage peut-être mythique mais, pour moi, central : la princesse Q. D’origine peule, cette princesse aurait régné, au début du IVe millénaire, sur un immense empire allant du Soudan à l’Iran et de la Syrie à l’Ouzbékistan : une culture métissée, antérieure à Sumer, dont quelques monolithes gravés, retrouvés à la frontière occidentale de l’Irak, semblent indiquer qu’elle avait développé une forme d’écriture pictographique à deux dimensions (le non-linéaire Q), plus ancienne que le cunéiforme, restée à ce jour indéchiffrée.

Cette princesse, qui inspire une grande partie de mes travaux, et notamment l’ensemble des séries liées à L’Empire du signe , était déjà au cœur d’une rétrospective que l’UNESCO m’avait commandée pour son cinquantenaire et qui s’est tenue à Paris en 1995 sous le titre générique Qu’est-ce qu’on ne sait pas ? : un intitulé qui est aussi le sous-titre du tableau - L’Empire du signe 6 - alors choisi comme logo pour ces commémorations (voir). Cinq ans plus tard, devant le Danube, en Hongrie, l’exposition Vestiges d’Eden, organisée pour l’ouverture du nouvel Institut français de Budapest, a été l’occasion pour moi d’inaugurer une autre série d’œuvres directement associées à la mémoire de cette culture archaïque : les Empreintes, témoignant de la forte influence chinoise qui a traversé la Culture Q, et qui constituent un axe toujours actuel de mon travail.

Les Empreintes se présentent comme des tablettes, à charge minérale, carrées, de modestes dimensions, qui portent différentes représentations géométriques (cercle, carré, ellipse, triangle, losange, octogone, etc.) enrichies de symboles plus ou moins reconnaissables (sceau, serpents, cœur, fleurs, étoiles, etc.). Les Empreintes se caractérisent par un procédé graphique proche du cunéiforme : les formes sont imprimées par enfoncement d’une forme rigide dans la matière encore malléable du mortier, un geste dont le plaisir contient un discret hommage à Éros.

Chacune de ces plaques constitue à la fois une œuvre, l’élément d’un ensemble constructif, et un outil potentiel. Une « Empreinte » vaut pour elle-même comme unité plastique. Mais les Empreintes sont aussi conçues pour être assemblées comme un dallage : elles reconstituent le pavement des palais d’été de la princesse Q. La présente exposition donne à voir, par une installation au sol, le principe de cette mosaïque de formes et de couleurs, furieusement à la mode sous sa dynastie.

Enfin, chaque pièce de la série peut être considérée comme un outil jouant le rôle de matrice pour la fabrication d’autres œuvres : les Empreintes sont des pierres d’estampage, sur le modèle des techniques utilisées en Chine archaïque. Pour les relevés sur pierre, la matrice était la stèle ou la dalle sur laquelle l’image positive à reproduire avait été sculptée en intaille. Il suffisait d’y appliquer une feuille de tapa ou de papier assez mince et assez humide pour qu’elle adhère à la dalle : en séchant, le papier se moule à la pierre en suivant les moindres dépressions de la surface. Il ne reste plus qu’à passer sur la feuille un tampon imbibé d’encre pour faire apparaître les caractères ou les dessins gravés en creux dont les formes sont épargnées par l’encrage.

Chaque Empreinte me permet donc de reproduire l’image de son inscription, gravée en creux (yin wen) ou en relief (yang wen) par l’application à sa surface d’une feuille que j’encre sur sa face extérieure : le tracé se retrouve reporté dans le même sens sur la feuille, mais à chaque fois dif-féremment. Irrégularités de l’encre qui enregistre les reliefs et les vides, fantaisie de la main qui erre à la surface de la feuille selon son caprice : chaque estampage d’une même Empreinte produit une figure unique, à la fois différente de sa matrice et semblable à elle, analogue aux autres estampages et néanmoins totalement singulière.